Durant quelques heures dans la soirée du 2 juin 2021, le dysfonctionnement d’équipements au sein de l’Opérateur Orange assurant l’interconnexion avec les différents opérateurs a eu pour effet de rendre indisponibles dans de nombreuses régions les appels vers les numéros habituels d’urgence.
En liaison avec les Préfectures, des solutions de contournement par l’incitation au recours de numéros longs de secours ont pu être mises en place et la situation est appelée à revenir rapidement à la normale.
Cet incident, qui sur la base des informations disponibles semble imputable à un équipement mutualisant plusieurs services critiques (il convient de rappeler que l’acheminement des appels d’urgence est une obligation qui pèse sur tous les opérateurs, et à leurs frais au titre de l’article L.33-1 f du Code des Postes et Communications Electroniques), appelle les observations suivantes de l’AOTA qui réitère sa proposition, restée sans réponse de la part des pouvoirs publics et de l’ARCEP, de disposer d’un véritable retour d’expérience.
En premier lieu, cet incident majeur, reconnu comme tel par Orange, n’est pas sans rappeler un précédent incident similaire, heureusement sans impact sur les appels d’urgence, en mai 2018, et qui avait amené l’AOTA à solliciter les pouvoirs publics pour disposer d’un retour d’expérience. L’AOTA avait alors fourni des éléments circonstanciés aux pouvoirs publics de nature à éclairer sur les conséquences possibles sur d’autres services critiques.
Le risque 0 n’existera jamais dans le numérique : il en est même consubstantiel. Pour autant, les opérateurs s’organisent au quotidien pour minimiser l’impact de tels incidents sur les clients finals, par le recours à des systèmes de redondance, de partage de charge, ainsi que le report des opérations de maintenance critique à des heures nocturnes.
Car la disponibilité des services voix est essentielle, en particulier pour la connexion des usagers aux services d’urgence. Les heures d’indisponibilité des interconnexions ont pu créer des situations particulièrement délicates dans de nombreux territoires pour les populations en sus du préjudice économique pour les opérateurs et les entreprises, car outre les appels d’urgence, ce sont de nombreux appels professionnels qui n’ont pu être correctement acheminés : cette situation ne peut de toute évidence pas se reproduire.
Or l’incident du printemps 2018, suffisamment critique pour avoir conduit à des pertes d’appels durant 2 jours, est resté sans retour d’expérience de la part d’Orange.
Il est d’usage dans le numérique que chaque incident majeur fasse l’objet de bulletins détaillés, appelés RFO (Reason For Outage) : ces retours sont essentiels dans la relation entre opérateurs et participent à la compréhension des incidents puis permettent à la communauté des opérateurs de mieux s’organiser pour améliorer la résilience de leurs infrastructures.
Opérateur historique ayant hérité gratuitement de ressources constituées au moyen de prérogatives de puissance publique, Orange continue d’occuper une place centrale dans l’interconnexion des différents réseaux, si bien qu’un dysfonctionnement chez Orange peut très vite impacter l’ensemble de la chaine.
L’AOTA invite par conséquent les pouvoirs publics, dans le cadre de la tutelle qu’ils détiennent sur l’opérateur en charge du Service Universel, à intervenir auprès d’Orange afin que cette dernière fasse preuve d’un meilleur niveau d’information des opérateurs.
En second lieu, cet incident illustre de nouveau les profonds dysfonctionnements du marché entreprises et collectivités, qui pour la plupart restent encore trop dépendantes de l’opérateur historique Orange. La structure de la régulation sectorielle de l’interconnexion téléphonique continue d’accorder à Orange une place trop importante et qui n’est plus justifiée au regard de la diversité d’acteurs d’autant plus que la migration des professionnels et entités publiques, trop souvent encore sur des solutions RTC obsolètes et sources de vulnérabilité, reste un véritable point de vigilance en matière de régulation.
En particulier, comme cela a a été le cas pour la portabilité et dans la mesure où l’acheminement des appels d’urgence est une obligation à la charge de l’ensemble des opérateurs et à leurs frais, sans compensation de l’Etat et dans un contexte où la fiscalité pesant sur les opérateurs en France est plus lourde que dans d’autres pays européens, il ne serait pas illégitime de confier à une entité commune aux opérateurs la gestion des numéros d’urgence, que ce soit pour les tables de traduction envoyées par chaque Préfecture ainsi que pour le routage des appels.
Enfin, cet incident impactant les appels d’urgence a mis en évidence l’extrême sensibilité du système envers des aléas d’exploitation du réseau et la quasi impossibilité de pouvoir basculer sur des solutions de secours alternatives maintenant les numéros habituels. En effet, il est matériellement impossible de modifier en quelques minutes les équipements pour remplacer les tables de routages vers plusieurs centaines de numéros multipliés par 101 préfectures.
A l’inverse, les systèmes étrangers privilégiant le recours à un numéro d’urgence unique, permet de procéder en quelques secondes au basculement vers des solutions de secours en cas de perte d’acheminement.
Plus généralement, l’AOTA estime que la France ne pourra plus longtemps faire l’économie d’une réforme du système d’acheminement des appels d’urgence qui reste encore basé sur une départementalisation des acheminements, au prix d’une sensibilité très forte au moindre aléa.
Outre les Numéros Verts Gouvernementaux, la France est la championne du monde en matière de numéros d’urgence, avec pas moins de 12 numéros nationaux selon le dernier décompte de l’ARCEP, en plus du numéro européen 112 que l’Union Européenne souhaite voir généraliser sur tout le continent et qui peine à s’imposer en France. Cette jungle de numéros, déclinés localement par chacune des 101 Préfectures, participe de la fragilité du système.
L’AOTA réitère sa proposition à la Présidente de l’ARCEP d’ouvrir une enquête administrative pour permettre de lever les doutes qui entourent cet incident.
L’association suggère également la création d’un groupe de travail qui pourra réfléchir et agir sous l’égide du régulateur dans l’objectif de simplifier les interconnexions entre opérateurs et la migration des services Voix (services de collecte en particulier).
L’AOTA regrette que les services de Cedric O n’aient toujours pas donné suite à sa proposition de dresser un tour d’horizon des différents sujets de préoccupation, qui incluaient cette problématique des risques systémiques liés à l’architecture de l’interconnexion téléphonie en Voix sur IP.
Sur tous ces sujets, l’AOTA, qui s’appuie sur l’expertise de l’ensemble de ses membres implantés en régions et en liaison avec les besoins des entreprises et collectivités locales, est en mesure d’apporter sa contribution dans un esprit constructif pour procéder aux réformes qui s’imposent visant à doter notre pays des infrastructures et services numériques correspondant aux attentes du 21eme siècle.