« Il ne peut pas y avoir un Internet fonctionnel pour ceux qui paient et un Internet de seconde zone pour les autres »
Instituer un « péage numérique européen » pour taxer les fournisseurs de contenus risque de nuire à la neutralité du Net et de bouleverser l’économie du secteur, estime Bruno Veluet, président de l’Association des opérateurs télécoms alternatifs, dans une tribune au « Monde ».
Depuis plusieurs mois, les opérateurs télécoms historiques, propriétaires des principaux réseaux demandent activement la mise en place d’un péage numérique européen. Ils veulent pouvoir taxer les grands fournisseurs de contenus pour la transmission de leurs données sur les réseaux de télécommunication.
Ils sont soutenus par le commissaire européen Thierry Breton, qui a proposé une nouvelle législation visant à faire payer le financement des infrastructures de réseaux à ces industries de contenus, en les contraignant à passer des accords financiers avec les opérateurs.
L’Association des Opérateurs Télécoms Alternatifs (AOTA) dénonce cette volonté de mettre des barrières à l’entrée, pour accéder au réseau. C’est un coup porté à la libre concurrence, car les nouveaux entrants seront freinés, voire bloqués, alors que dans le numérique, c’est de là que vient l’innovation et l’animation concurrentielle du marché. Ce sujet va bien au-delà d’une négociation financière entre de gros acteurs du numérique.
Si cette législation est mise en place, elle provoquerait un internet « à plusieurs vitesses », menaçant la neutralité du net, et donc potentiellement les libertés publiques, et déstabiliserait l’ensemble des équilibres économiques du secteur.
L’AOTA est très attachée au maintien des principes de non discrimination dans l’accès au réseau et l’acheminement des données. Il ne peut pas y avoir un internet pour ceux qui paient (qui fonctionne bien) et un internet de seconde zone, qui fonctionne comme il peut, pour les autres.
La mise en place du péage numérique serait une mesure délétère pour la survie des petites et moyennes entreprises du numérique, qui n’ont pas les moyens, humains et financiers, de traiter ces nouvelles obligations. Ce nouveau système demandera une régulation publique, donc un coût administratif et bureaucratique, et pourrait nécessiter des changements techniques, là encore coûteux et sans utilité directe pour les internautes. En outre, les opérateurs alternatifs auraient les inconvénients du dispositif, sans les avantages, car ils ne sont pas en capacité économique de négocier l’accès à leurs réseaux face aux fournisseurs de contenus, et se verront imposer une quasi gratuité.
Il n’est pas du tout certain que les sommes récupérées par les opérateurs historiques aillent effectivement à l’investissement dans les réseaux. La mise en place de rentes de situation n’a jamais fait progresser l’innovation, bien au contraire !
Nous ne sommes pas les seuls à douter de l’intérêt de cette proposition. Le groupement européen des régulateurs des télécoms, dont fait partie l’ARCEP en France, a récemment publié une évaluation préliminaire de la proposition prenant en compte l’évolution du marché au cours des dernières années et les investissements réalisés par les différentes parties prenantes. Il ne voit ni fondement économique ni bénéfices tangibles à cette proposition et considère même que cette taxe pourrait entraîner un déséquilibre du marché.
La décision finalement prise par la commission européenne, de ne pas légiférer tout de suite, et de procéder à une consultation, au premier trimestre 2023, remet le processus décisionnel dans le bon ordre.
L’AOTA apportera sa part à ce débat et appelle aujourd’hui l’ensemble des acteurs de l’écosystème du numérique à rejoindre son engagement pour protéger la liberté d’accès et de circulation des données, essence même de l’innovation numérique et de la concurrence sur notre sol européen.
Ensemble, nous contribuerons à la pérennité d’un bien commun dont nous serons tous fiers d’accompagner le développement.